Depuis début 2020, le monde est tenu en échec par la pandémie de covid-19. Dans le monde du transport, les confinements ont entraîné une pénurie de conteneurs qui perdure. Des conteneurs vides restent bloqués dans les grands ports maritimes. On dénombrait, par exemple, 160'000 conteneurs vides TEU (Twenty-Foot Equivalent Unit/équivalent 20 pieds) à Yantian au nord de Hong Kong en juin 2021, soit la capacité de traitement journalière des ports de Shanghai et Hambourg réunis (capacité annuelle en conteneurs TEU 2021: Shanghai 47 millions, Hambourg 8,7 millions). Cette situation a entraîné des embouteillages dans les ports, des retards de livraison et une hausse massive des coûts du fret. De plus, la situation actuelle s'est encore aggravée avec la guerre en Ukraine, car les prix de l'énergie des transports ont encore augmenté.
Embouteillage historique au port de Shanghai
Au printemps 2022, alors que la situation pandémique commençait à se détendre dans de nombreuses régions, la Chine a été à nouveau particulièrement touchée: en vertu de la politique chinoise du zéro Covid, le confinement total de Shanghai du 5 avril au 31 mai 2022 a bloqué les flux de marchandises dans le monde entier. Shanghai n'est pas seulement le plus grand port maritime; la ville abrite également le Yangshan Deep-Water Port, le plus grand port de conteneurs du monde. Les installations portuaires n'ont certes pas été fermées, mais il a fallu se contenter longtemps d'un personnel considérablement réduit, parfois enfermé dans l'enceinte du port, en raison des mesures sévères anti-covid prises sur place.
Le fonctionnement et la capacité du port ont été ainsi fortement limités. Il s'en est ensuivi un énorme embouteillage: jusqu'à 500 navires ont été bloqués avec à leur bord d'énormes quantités de marchandises prêtes à être exportées ou importées. Certes, la situation s'est quelque peu calmée depuis lors. Mais il faudra sans doute encore des mois avant que la situation ne se normalise et qui sait quels nouveaux défis nous attendent.
Beaucoup de valeur concentrée en un lieu = risque d’accumulation de sinistres
La conséquence directe de ce dernier confinement est la très forte concentration de valeurs (marchandises) dans le Grand Shanghai. Alors qu'en temps normal, le secteur de l'assurance et de la réassurance table sur une valeur journalière moyenne de quelques milliards de dollars, il faut désormais compter avec une valeur de plusieurs dizaines de milliards. Et ce, sans tenir compte de la valeur des navires, des installations portuaires, des bâtiments, ni des risques de dommages indirects liés. Il est difficile d'imaginer les dommages financiers que causerait un typhon ou un tremblement de terre à Shanghai ou dans les environs.
Le plus grand danger ne provient donc pas uniquement des risques naturels, mais d'un enchaînement de circonstances. Prenons un exemple: le typhon Maemi, le cyclone tropical le plus puissant qu’ait connu la Corée du Sud, a frappé le pays en 2003. Les seuls dommages causés aux installations portuaires de Busan avaient été estimés à quelque 50 millions de dollars, ce qui avait réduit la capacité de fret de 20 %. Le fait que le passage du typhon dévastateur ait été précédé d’une longue série de grèves ainsi que de trois jours fériés a encore fait grimper le montant des dommages du fait de la concentration de valeurs inhabituellement élevée. Les risques politiques, tels que les grèves et les troubles civils, sont souvent inclus dans les assurances de transport.
Concentration de navires et saturation des ports en dehors d’Asie
Lorsqu’on considère les actualités des derniers mois, on voit que les situations de blocage ne se limitent pas aux métropoles d'Asie. Souvenons-nous du porte-conteneurs «Ever Given» qui a bloqué le canal de Suez pendant six jours en mars 2021. Le navire a été remis à flot au cours d'une opération de sauvetage longue et coûteuse. Pendant l’opération, quelque 400 navires ont été bloqués par l'avarie. Au total, le règlement technique du sinistre, encore en cours, devrait coûter environ 2 milliards de dollars. Le cas Ever Given est ainsi l'un des sinistres les plus coûteux de la longue histoire de l'assurance transport.
Indépendamment des différentes causes de ces blocages de marchandises, il convient d’observer et d’analyser l'évolution de la situation actuelle. Il faut aussi - ce qui est aussi très important – la financer avec précision. Comme nous l'avons déjà mentionné, nous sommes encore loin d’être revenus à la normale. Parallèlement, la demande de matières premières, de nouvelles marchandises et de conteneurs augmente à nouveau fortement et la saison de Noël, qui génère des volumes et des risques encore plus élevés, sera bientôt au centre de l'attention. Ce qui est une aubaine pour l'économie pousse toutefois les ports de fret en Europe et en Amérique du Nord à la limite de leurs capacités. C'est pourquoi il y a régulièrement des embouteillages et des temps d'attente plus longs, même à notre porte.
Recommandations d’actions et conseils pratiques
Chaque entreprise doit évaluer pour elle-même l'impact des changements décrits ci-dessus sur sa propre activité commerciale, et revoir la planification de ses ressources pour les achats, la distribution et le transport. Car un retour rapide à la normale est improbable et la situation ne devrait pas s’apaiser avant le printemps 2023.
Ainsi, en Suisse aussi, de nouvelles solutions doivent être élaborées de manière proactive afin d'éviter que des matières premières, des produits finis ou des pièces de rechange ne soient bloqués pendant une longue période ou que les marchandises n’arrivent avec beaucoup de retard ou incomplètes ou endommagées en Suisse ou à leur lieu de destination à l'étranger. Pour pallier la situation, il est recommandé de prendre les mesures suivantes:
- Vérifier les contrats de vente et les Incoterms® 2020: qui organise et paie le transport? Qui supporte le risque de perte et de dommage? A quelle partie doit être versée l’éventuelle indemnisation en cas de sinistre lors du transport? En cas d'obstacles logistiques difficilement surmontables, il est conseillé de transférer le risque au partenaire contractuel étranger afin d'atténuer les effets négatifs des dommages et de la procédure de détermination des causes du sinistre..
- Repérer les goulets d’étranglement: quels sont les ports ou aéroports particulièrement congestionnés? Quelles sont les causes des blocages et quelles précautions peut-on prendre?
- Envisager de nouveaux modes et routes de transport et des options de contournement: Quel est le plan B? Evaluer l'utilisation de routes et modes de transport alternatifs et tester à temps les déviations possibles.
- Parlez à vos partenaires commerciaux et transporteurs: les ports, les aéroports et les entrepôts sont-ils opérationnels et disposent-ils du personnel nécessaire? Y a-t-il des voies de communication intérieures opérationnelles, suffisamment de véhicules et de chauffeurs expérimentés sur l'itinéraire? Choisir soi-même les sous-traitants à terre, en fournissant le certificat d'assurance de la RC transporteur avec indication du montant assuré. Insistez pour que les choses se fassent en toute transparence; sans quoi, changez de transporteur.
- Vérifier le design et la protection des marchandises: les marchandises sont-elles soumises à des sollicitations plus contraignantes en raison de nouvelles routes ou durées de transport? Si vous n'avez pas d'influence directe, vérifiez et donnez des instructions sur la manière dont les marchandises doivent être emballées, transportées et stockées. Ne lésinez pas, afin d'éviter les dommages et de préserver les possibilités de recours.
- Vérifiez votre propre assurance transport: l'étendue de la couverture et la somme assurée sont-elles adéquates?
- Echange de connaissances: cherchez le dialogue avec les autorités, les associations de branches et votre assureur. En tant qu'assureur transport, nous disposons d'un réseau mondial d'experts en risques.
Les entreprises priées d'agir
Les ports saturés et leurs conséquences devraient encore nous accompagner pendant un certain temps. Actuellement, Shanghai est toujours le lieu où se concentre la plus forte valeur de marchandises. Les entreprises qui acheminent des marchandises vers des ports saturés devraient donc se pencher sur les risques encourus et examiner des solutions alternatives. D'autres changements et de nouveaux défis pourraient encore survenir. Tous les acteurs du transport transfrontalier de marchandises sont appelés à prendre en main la gestion des retards de livraison et la prévention des dommages, afin d’assurer la prévisibilité des chaînes logistiques pour que les marchandises puissent être livrées en bon état et sans retard. Une bonne gestion des risques peut également orienter à la baisse les primes d'assurance.
